LE HEALING CINEMA

“Guérir les Mémoires:Quand le Cinéma Recoud les Âmes et Réinvente le Genre” par Pascale Obolo, Cinéaste, Commissaire d’Exposition et Rédractrice en Chef de la Revue Afrikadaa


Le “healing cinéma” est une approche cinématographique qui agit comme un outil thérapeutique, politique et de transformation sociale, particulièrement en Afrique et dans sa diaspora. Ce genre de cinéma, représenté par des artistes féministes et engagées comme Pascale Obolo, explore la mémoire et les récits de communautés marginalisées. En utilisant la caméra comme un instrument de soin, il permet de traiter des blessures historiques et personnelles, tout en offrant un espace de réaffirmation et de réappropriation des récits et des identités. Le documentaire Calypso Rose: The Lioness of the Jungle, par exemple, ne se contente pas de relater la vie de cette icône de la musique caribéenne, mais cherche aussi à soigner et transformer les récits collectifs liés à son histoire.

Ce cinéma critique remet en question les représentations traditionnelles du genre et de la féminité, ouvrant des perspectives qui défient les normes culturelles et sociales. Il a aussi une dimension politique forte, permettant aux femmes africaines et diasporiques de reprendre le contrôle de leurs histoires face à des structures de pouvoir héritées de la colonisation et du patriarcat. Ce cinéma féministe et “artiviste” est ainsi un espace de résistance et de réaffirmation, où les figures de femmes fortes deviennent des symboles de résilience.

L’artivisme, fusion de l’art et de l’activisme, prend ici une forme de lutte contre les systèmes oppressifs, en particulier contre les institutions coloniales et patriarcales. Ce “healing cinéma” participe à la décolonisation des récits en valorisant des voix féminines jusque-là marginalisées et en offrant des représentations alternatives des femmes africaines et caribéennes. Ce cinéma féministe décolonial se démarque par son approche critique, qui refuse les clichés et propose des figures féminines authentiques, engagées, et ancrées dans des réalités culturelles spécifiques.

La création artistique et la recherche-action, une méthode combinant recherche et engagement social, sont également des moteurs essentiels de transformation sociale. Dans le contexte africain, où les questions de genre sont souvent sensibles, la recherche-action permet aux artistes d’interagir directement avec les communautés pour mieux comprendre leurs réalités. Cela aboutit à une redéfinition des représentations du genre, non seulement par le biais de récits visuels, mais aussi en intégrant des perspectives culturelles locales et nuancées.

Le cinéma thérapeutique africain engage ainsi une hybridation des genres : entre art, sciences sociales, et militantisme. Cette interdisciplinarité permet de transcender les barrières traditionnelles et de poser un regard critique et novateur sur le féminisme et le genre. Ce cinéma hybride devient alors un espace où les questions de genre et de pouvoir sont réévaluées, offrant des œuvres qui sont à la fois esthétiques, éducatives et transformatrices. Le “healing cinéma” redéfinit l’art cinématographique en Afrique comme un espace de résistance, de soin, et de décolonisation des récits, contribuant ainsi à une mémoire collective plus inclusive, renforçant la solidarité et la résilience au sein des communautés.

Pascale Obolo est cinéaste-chercheuse, commissaire d’exposition indépendante, activiste et rédactrice en chef de la revue d’art AFRIKADAA. Elle travaille sur les questions de transmissions et le partage et d’échange de savoirs et d’expériences. Elle interroge ainsi les mémoires, l’identité, l’exil, l’invisibilité. Refusant d’être cataloguée dans un genre cinématographique particulier, elle produit et réalise « des objets filmiques » notamment Calypso Rose: The Lioness of the Jungle (récompensé par le prix Yennega d’argent au FESPACO en 2013). Elle dirige aussi l’African Art Book Fair (AABF), une foire d’édition indépendante et soutenant les pratiques de publications qualitatives et uniques en Afrique.

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