Une fenêtre Ouverte de Khady Sylla (2005) : Créer ou s’anéantir
Une fenêtre Ouverte de Khady Sylla (2005) : Créer ou s’anéantir
Autrice : Tabara Korka Ndiaye
Dans Une fenêtre ouverte (2005), Khady Sylla nous dévoile les expériences de la maladie. La maladie veut dire la maladie mentale. Pour les malades, il n’y a pas besoin de dire l’expression en entier. Comme si c’était une évidence. Il semble que ce soit une évidence pour elle et les personnes qui s’identifient à elles, comme moi.
En dialogue avec Aminata Ngom et avec elle-même, Khady Sylla nous guide vers les chemins de la douleur, des silences, des stigmatisations, de l’exclusion, de l’enfermement, de l’altérité, du suicide, de la peur de soi et des autres, d’un trop pleins d’émotions difficiles à nommer parfois. Khady Sylla a clairement fait une recherche sur soi. Elle rappelle : après avoir fait l’expérience de l’intérieur, la douleur a envahi le monde. Une fenêtre ouverte raconte une histoire d’amitié entre deux femmes qui toutes deux se sont retrouvées là l’une pour l’autre, particulièrement en temps de maladie. Sylla, en gros plan, débite les mots en un rythme avec une intensité sans nom. Elle est pleine et même la caméra semble trop petite pour la contenir. En la regardant, on reçoit ce trop plein d’émotions vives. Son regard (nous) dérange. Ses yeux nous transpercent. Elle se filme et son corps demi-nu est plein d’expériences, de vécu. Depuis son film les surexposés, elle passe ‘de l’autre côté’ comme elle le dit. Elle rejoint ainsi son amie Aminata Ngom et d’autres malades dans le terrain de la douleur indescriptible, de la souffrance indicible et de la perte, puis de l’exploration de soi. L’image du miroir en morceaux qu’elle convoque au début du film est une représentation de soi associé à la lumière et à sa violence par moment.
‘Tu te regardes dans un miroir brisé.
Tu vois des morceaux de ton visage. Ton visage est en miettes.
Et celui qui te regarde dans le miroir brisé, il voit des morceaux d’images de ton visage.’
Elle se positionne en cinéaste transparente dans sa démarche autoréflexive. La discussion sur le consentement d’Aminata à participer au film ou non est rendue dans son intégrité à la caméra. Cette transparence de la réalisatrice nous édifie sur le fait que le consentement n’est jamais définitif et est à renégocier en permanence, surtout lorsque la personne qui l’accorde est vulnérable. D’où l’importance d’obtenir le consentement des proches, ce que Khady Sylla a recherchée en les incluant. D’abord en entamant une médiation avec la mère de Aminata, puis avec sa fille Thiané.
Sylla a une admiration pour Aminata qu’elle qualifie de résistante, ‘exhibant sa folie librement’. Khady et Aminata partagent des silences complices. Sylla fait une médiation pour que la famille accorde à Aminata des moments à elle, hors de la maison : des promenades quotidiennes comme des bouffées d’air dont pourtant Aminata ne veut pas, mais que Khady recherche ardemment. Khady Sylla s’avoue être ‘la clé’ d’Aminata et la réalisation de cette responsabilité est un terrible fardeau pour elle, qui a eu des épisodes similaires. Aminata, pour sa part, préfère rester cloisonnée. L’envie d’avant de sortir en cachette pendant des jours parfois ne l’intéresse plus du tout. Elle donne l’impression d’avoir peur de l’extérieur et surtout des autres. De la même manière que l’autre a peur de vous. Comme Khady le dit si bien dans sa narration : L’autre a peur de vous. Vous avez changé, vous avez le regard hagard, vous avez enflé. Et vous aussi qui faites peur, avez peur de l’autre’.
Elles se remémorent ensemble du poids du regard des autres sur la maladie : ‘les autres pensent que vous n’avez rien, que vous faites semblant ‘da fa reew, dara jotu ko’ alors que les malades n’ont, selon elles, aucun intérêt à prétendre. Khady Sylla se comporte comme elle prêche. La maladie, ‘c’est le moment où on a besoin que quelqu’un nous retienne sur cette terre’. À la place, comme elle se rappelle à juste titre, on nous rappelle constamment que les suicidés vont en enfer. Aminata Ngom habite dans la cité silencieuse et déserte que Khady Sylla nomme et vient peupler, dardant ses yeux hagards sur l’innommable. Dans la nouvelle cité qu’elles habitent toutes les deux dans ce film, Aminata fait l’expérience d’une féminité retrouvée, après l’étrangeté de la maternité. Sylla la sort en promenade. Toutes les deux se retrouvent devant le vendeur de perruques. Dans cette scène, Sylla veut qu’Aminata choisisse une perruque qui lui convient et elle lui retourne que le sol se dérobe sur ses pieds. Éventuellement, elle accepte d’essayer une perruque. Cette image contraste tellement avec la terrible histoire d’Aminata. C’est une femme à qui on a refusé l’expérience de la maternité car malade. Elle ne savait comment allaiter. Et personne ne lui a appris. Sylla entame une conversation entre Aminata et son autre fille Thiané. Les quelques mots que Thiané partagent sont noyés dans son regard et son silence. À quoi doit ressembler une absence d’expérience de l’enfance et de la maternité ? Deux femmes partageant le même toit en font des expériences de la vie complètement différentes.
Khady Sylla termine ce film avec ces mots laconiques :
‘Les fous errants ne sont pas des rois-mages. Ce sont des personnages à la conscience fracassée par la douleur. Même leur marche est une forme de résistance.’
Un film actuel sur la santé mentale à (re)voir absolument !
Article d’abord paru sur Seneplus.com
https://www.seneplus.com/opinions/une-fenetre-ouverte-de-khady-sylla-creer-ou-saneantir